La soie est un des éléments les plus importants de la société chinoise : c’est un moyen de diffusion de modèles traditionnels chinois bien-sûr mais aussi de modèles étrangers. Monnaies d’échanges, oeuvres, costumes somptueux ; les étoffes de soie reflètent la puissance et la richesse du pays.
Selon la tradition chinoise, l’idée du filage puis du tissage de la soie viendrait de la princesse Si Ling Chi, il y a 2 500 ans. La légende raconte qu’un jour, alors que la fille de l’empereur buvait une tasse de thé au pied d’un mûrier, un cocon tomba dans sa tasse. Le cocon ramolli par le thé chaud commença à se défaire, Si Ling Chi accrocha le fil qui en le tirant lui parut interminable et d’une souplesse incroyable. Elle convoqua alors ses meilleurs tisserands qui travaillèrent sur ce fil si fin et si fragile. Après de longs mois de travail, les tisserands arrivèrent à obtenir un tissu extrêmement doux. À partir de ce moment-là, la soie fut imposée pour tous les vêtements impériaux et de la cour, probablement une des règles édictées parmi les plus agréables à suivre. De plus le tissage devait rester secret sous peine de sanction ; il n’aurait pas fallu que n’importe qui puisse en profiter…
La sériciculture, autrement dit la culture des vers à soie, et l’artisanat de la soie sont des activités ritualisées et la chaîne opératoire de cet artisanat est longuement observée. En phase avec les cycles lunaires, en avril, les séricicultrices rendent hommage à la déesse des vers à soie lors d’une cérémonie destinée à chasser les mauvais esprits et à assurer une récolte de cocons abondante. Parées de mille fleurs de soie ou de papier, les séricicultrices déposent des offrandes et prient. La soie est un sujet des plus sérieux en Chine !

D’un point de vue technique, la soie est une fibre textile sécrétée par le bombyx mori, seul vers à soie pouvant être domestiqué. Il faut savoir que ce dernier est incapable de vivre sans l’intervention de l’homme, ces petites bêtes sont donc loin d’être malheureuses dans leur élevage. La sériciculture est l’industrie qui repose sur la production de cocons de vers à soie mais aussi sur la culture du mûrier, dont les feuilles constituent la nourriture essentielle et même unique de ces chenilles monomaniaques. Le bombyx mori ne se nourrit effectivement que de feuilles de mûrier blanc, morus alba.
Durant l’Antiquité, les Romains sont persuadés que les Chinois récupéraient le fil sur les feuilles d’arbres ; Pline l’Ancien l’affirme dans son livre Histoire naturelle : « Les Sères, célèbres par la laine de leurs forêts ; […] détachent le duvet blanc des feuilles, en l’arrosant d’eau ; puis les femmes exécutent le double travail de dévider et de tisser ». Malheureusement pour eux, leur recette n’était pas vraiment la bonne.

La production de la soie est une activité entièrement dévolue aux femmes ! En effet, de nombreuses sociétés leur réservent cette activité artisanale, à l’exception de quelques unes, en Océanie par exemple. A ce titre, même l’impératrice en personne participe symboliquement à cette activité emblématique de la culture chinoise. Dans le Liji (禮記, Classique des Rites), les auteurs chinois rapportent que dans le dernier mois du printemps, l’impératrice jeûne, se purifie et offre un sacrifice à la divinité de la sériciculture, afin de montrer l’exemple à l’ensemble de la cour et au peuple. Elle se rend dans les champs situés à l’est et cueille des feuilles de mûrier. Elle interdit aux dames nobles et aux femmes des ministres de s’orner de leurs parures, et dispense ses suivantes de leurs travaux de couture et de broderie, afin qu’elles puissent donner tous leurs soins à l’éducation des vers à soie !
Le rouleau des Femmes de la cour préparant la soie nouvelle, attribué à l’empereur Song Huizong 宋徽宗 (r. 1100 – 1126) d’après le rouleau antérieur de Zhang Xuan 张萱 (a. 714 – 742), artiste de la dynastie Tang, montre des femmes habillées dans des vêtements de cour parfumant et ourdissant la soie. Un tissu doux au toucher, mais également à l’odeur de fait.
Sous certaines dynasties, les paysans sont contraints à cultiver une partie de leurs terres en mûriers et à payer les taxes en pièces de soie. Le sujet est donc, comme souvent, moins propice aux réjouissances chez le peuple qu’à la cour. La soie était réservée à l’usage de la cour pour confectionner des vêtements, parasols, étendards, ou encore pour offrir. De nombreux portraits d’empereurs et impératrices montrent l’importance de cette production de soie, avec par exemple le portrait de l’impératrice Song Cao.

Des fonctionnaires étaient chargés de la surveillance de la production et de son utilisation, un poste moins relaxant qu’il n’y paraît ! L’homme en charge du contrôle de la soie était chargé de distinguer chaque espèce et en fixait le prix. Il devait aussi gérer le stockage jusqu’à la saison propre au travail de la soie. Il fournissait les ouvrières des ateliers impériaux et privés en fils à broder et tisser, sélectionnait les étoffes les plus parfaites pour l’usage et les cadeaux de l’empereur et enregistrait leur quantité et leur qualité en attendant les ordres de livraison des officiers supérieurs. En bref, la mission était complexe. La sériciculture était si importante en Chine que de nombreux écrits ont été réalisés pour théoriser l’intégralité du processus, avec le Yuzhi Genzhitu (耕织图, Le Tableau du labourage et du tissage) par exemple.
L’Empire de Chine va conserver durant plus de deux millénaires l’exclusivité de la fabrication de la soie. Elle n’arrive en France qu’au début du XIVe siècle, lors de la venue des papes à Avignon, introduisant ainsi la culture du mûrier dans la région, pour notre plus grand plaisir.
En savoir plus :
En astronomie chinoise, certaines astérismes – l’équivalent des constellations occidentales – sont en rapport avec la sériciculture : Fukuang représente un panier rempli de feuilles de mûrier, qui servent à nourrir les vers à soie, et Zhinü représente une femme en train de filer ou de tisser de la soie.
Un peu de lecture approfondie :
Boucher, Jean-Jacques, Arts et techniques de la soie, Paris, Unesco, 1996.
Chen Weiji, History of Textile Technology of Ancient China, traduit par Gao Guopei et autres, ed. par Chen Weiji, New York, 1992, (traduction en anglais, 1984, Chen Weiji).
Lumières de soie: soieries tissées d’or de la collection Riboud, (catalogue d’exposition, Paris, Musée national des arts asiatiques Guimet, 2005), Paris, 2004.
Vaincker, Shelagh, Chinese Silk : A cultural history, London, British Museum, 2004.
Image de couverture : Détail du Rouleau des femmes de cour préparant la soie nouvelle, Zhang Xuan, attribué à l’empereur Song Huizong 宋徽宗 (r. 1100 – 1126) d’après le rouleau antérieur de Zhang Xuan (a. 714 – 742).
Image de couverture : Rouleau des femmes de cour préparant la soie nouvelle, Zhang Xuan, attribué à l’empereur Song Huizong 宋徽宗 (r. 1100 – 1126) d’après le rouleau antérieur de Zhang Xuan (a. 714 – 742) © Musée National du Palais, Taipei.