A l’occasion de la journée des droits de la femme, Tokonoma vous présente une auteur chinoise, Xinran, qui a été l’une des premières à se pencher sur la vie des femmes en Chine, et ce dès les années 1990 !
Xinran (lire Sinnjeanne) est une journaliste chinoise née en 1958. De 1989 à 1997, elle anime une émission radio : Mots sur la brise nocturne. Le but ? Introduire une voix plus légère que celle du parti et parler de la vie quotidienne aux Chinois.
En effet, en Chine, depuis l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong, en 1949, la radio et tous les autres médias sont contrôlés par l’Etat, et le Parti Communiste Chinois – en politique, l’Etat et le Parti ne sont guère différents. – Lorsque que le nouveau président Deng Xiaoping arrive au pouvoir, après la révolution culturelle, il décide d’ouvrir la Chine au monde. Lancée entre 1978 et 1983, cette période d’ouverture permet de libérer un peu la presse. C’est là que certains journalistes peuvent créer des programmes qui changent un peu de la propagande et des nouvelles militaires. En tout cas, Xinran le fait !
Son émission, elle en parle elle-même dans son ouvrage Chinoises (originellement The Good Women of China). Ce livre, que je n’ose pas classifier tant il est une synthèse entre le roman, l’autobiographie et le recueil de nouvelles, est publié en 2003 en anglais. Pourquoi l’anglais ? Parce que même si elle parle de sa vie en tant que Chinoise et de la Chine en général, c’est au monde occidental qu’elle s’adresse ! Elle veut nous faire découvrir la vie des femmes chinoises, et provoquer une prise de conscience.
Chinoises, c’est à la fois le récit de sa vie au moment où elle animait l’émission, mais aussi le récit des femmes qui ont jalonné son existence. Dès les premiers mois de son émission, en lisant son courrier des lecteurs et en écoutant les femmes de son entourage, elle se rend compte que parler de la vie quotidienne ne sera pas assez. Il faut réparer la mémoire des femmes !
« Quelle place y a-t-il eu pour le bonheur dans la vie d’une femme qui a vécu ces dernières décennies ? […] Les femmes donnent aux autres leurs sourires, mais gardent pour elle leurs peines de cœur. »
Chinoises, 2003
Les femmes chinoises ont toujours été écrasées sous un certain nombre de conventions : elles ne doivent pas dire ce qu’elles pensent, se doivent d’être jolies, obéissantes, innocentes (pour ne pas dire ignares)… Mais comme l’illustre la citation ci-dessus, c’est la Chine communiste qui cause le plus de torts ! Durant la Révolution Culturelle, les critères faisant de la femme chinoise « une femme bien » se durcissent davantage encore.
Xinran, dans son ouvrage, nous propose justement de partir à la rencontre des Chinoises. On suit tout au long du livre sa réflexion, qui l’a amenée à consacrer son émission aux femmes. Comment fait-elle ? Elle commence par lire les lettres de femmes, puis à prendre des appels en direct, puis à aller à leur rencontre pour les interviewer elle-même. Pendant dix ans, elle cherche à perfectionner son travail, à trouver le meilleur moyen de libérer la parole des femmes. Cela paye d’ailleurs, puisque le succès de son émission lui offre une ascension fulgurante dans la hiérarchie journalistique !
Mais finalement, ce qui rend ce livre particulièrement poignant, ce sont les femmes dont elle nous parle. Lesquelles ? Parmi tous les témoignages recueillis, elle en sélectionne quinze, qu’elle raconte. Chacune d’entre elle intervient dans sa vie comme un personnage clé à un moment spécifique. Elle lui permet d’évoluer et d’améliorer son émission. Elles viennent de tous horizons : étudiantes, fillettes, dames âgées, femmes de dignitaires, prisonnières, homosexuelles… Elles ont toutes en commun d’avoir beaucoup souffert, elles ont été violées, ont connu le deuil, la prison parfois et mille autres souffrances encore… Et pourtant, croyez-le ou non, elles sont porteuses d’un message d’espoir. Elles sont extraordinaires par l’amour qu’elles ont pour leur famille et par leur endurance, par la force dont elles font preuve ! Elles invitent Xinran dans cet ouvrage à faire un retour sur son enfance, celle d’une fille d’intellectuel pendant la Révolution Culturelle, privée de ses parents et élevée par les Gardes Rouges. Ce qui offre au texte toute sa dimension autobiographique.
« Xinran, vous devriez écrire tout cela. Ecrire permet de se décharger de ce qu’on porte et cela peut aider à créer un espace pour accueillir de nouvelles façons de penser et de sentir. Si vous n’écrivez pas ces histoires, leur trop-plein va vous briser le cœur. »
Chinoises, 2003
Xinran a consacré une longue partie de sa vie à ses femmes, jusqu’à ne plus pouvoir le supporter. Elle est alors partie vivre à Londres, pour se libérer enfin du poids de toutes ces femmes. Ce livre, publié 6 ans après sa dernière émission, résonne comme un chant du cygne, l’œuvre qui vient clore enfin ce chapitre de sa vie. Ce n’est pas un ouvrage facile à lire, émotionnellement parlant… mais la langue est belle et la réflexion passionnante ! Les voix de toutes les femmes qui ont jalonné sa vie viennent se joindre à elle pour nous parler enfin de leur vie.